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Les enfants prétendument « sorciers » en Afrique   

Dernière mise à jour : 24 déc. 2024


Bien qu'en Occident les pratiques de sorcellerie appartiennent principalement au passé, on constate qu'en Afrique, la croyance en ces pratiques occultes est encore très présente, causant la souffrance de milliers d’enfants chaque année. Quelles sont les conséquences de cette souffrance sur les enfants ? Existe-t-il des bénéficiaires de cette hystérie collective ? Quelles solutions ont été envisagées pour résoudre les problèmes liés aux accusations de sorcellerie envers les enfants ?

Afrique: le business des «enfants-sorciers», Libération / Les enfants albinos sont les plus exposés aux accusations de sorcellerie avec les orphelins et les enfants handicapés. ©UNICEF/NYHQ2007-1798/Nesbitt (© UNICEF/NYHQ2007-1798/Nesbitt)
Afrique: le business des «enfants-sorciers», Libération / Les enfants albinos sont les plus exposés aux accusations de sorcellerie avec les orphelins et les enfants handicapés. ©UNICEF/NYHQ2007-1798/Nesbitt (© UNICEF/NYHQ2007-1798/Nesbitt)

Un profil type des enfants concernés


Ce phénomène d’accusation de sorcellerie est répandu dans plusieurs pays africains, comme le Libéria, le Nigéria, la Sierra Leone, l’Angola, et la République centrafricaine. En République Démocratique du Congo (RDC), cependant, le phénomène est encore plus accentué. Filip de Boeck, professeur d'anthropologie, précise qu'il s'agit d'un phénomène extrêmement répandu et moderne, répondant aux problèmes des pays en crise.


Contrairement à une croyance exclusivement rurale, ce phénomène est également urbain. La pauvreté est le facteur déterminant qui explique cette hausse des accusations de sorcellerie en RDC et au Togo. En effet, en RDC, 70 % des Congolais vivent sous le seuil de pauvreté. Ainsi, lorsqu'un parent accuse un enfant de sorcellerie et le met à la rue, cela réduit d’autant les charges familiales. Les enfants issus de foyers monoparentaux ou orphelins sont davantage touchés que ceux vivant avec leurs deux parents biologiques.


Dans de nombreux cas, cette accusation de sorcellerie sert de solution économique aux difficultés familiales. Accuser un enfant de sorcellerie permet de l'exclure du foyer et de réduire les dépenses. Par ailleurs, la pauvreté contribue aussi à la méconnaissance de certains parents, qui, au lieu de se fier à la science, se tournent vers des superstitions et des croyances entretenues par des institutions religieuses et des traditions diverses.


Les adultes justifient leurs accusations de sorcellerie par différents motifs : maladie de l’enfant (VIH, sida), anomalie physique (comme une tête plus grande ou un comportement surdoué), troubles du comportement ou du sommeil, naissance par le siège, décès de la mère en couche, etc. Par exemple, Exaucé, après la mort de sa grand-mère, fut accusé par un pasteur d’avoir causé ce décès. Attaché et battu pour avouer, il finit par s’échapper et devint sans domicile fixe.


En conclusion, l’Unicef affirme : « L’ignorance, la pauvreté, l’impossibilité de payer la scolarité des enfants, et les ravages de la guerre qui augmentent le nombre d’orphelins sont des facteurs contribuant à la croyance en des enfants “sorciers”. ».

L’exorcisme de ces enfants : des pratiques barbares et lucratives pour certaines églises


Mark Nickolaeus, professeur de critique sociale, a déclaré : « L'exorcisme, dans sa forme la plus brutale, peut causer des sévices physiques et psychologiques graves. » Ces exorcismes, souvent violents et barbares, consistent à « chasser » un soi-disant esprit malin. Diverses pratiques exorcistes existent, mais beaucoup restent méconnues à cause de la discrétion des pasteurs. Par exemple, des journalistes d’Arte ont dû faire preuve d'extrême discrétion pour documenter ces violences au Congo.


Selon un pasteur interrogé par TV5 Monde, « Je vais faire sortir tout le mal du ventre de vos enfants. »

Dans certains cas, l'enfant est forcé de boire un mélange indigeste, et s’il vomit, cela est interprété comme une délivrance. Joy, une victime, témoigne dans Courrier International : elle raconte avoir été attachée et contrainte à avouer des « crimes » inventés pour être libérée. Par ailleurs, certains exorcismes incluent des pratiques dangereuses, telles que l'ablation de parties de l'intestin, opérée dans des conditions sanitaires précaires.

Au Nigéria, certaines églises pentecôtistes mènent une propagande active pour proposer ces « guérisons », une véritable entreprise où les pasteurs encaissent entre 5 000 et 30 000 francs congolais pour un exorcisme, et jusqu’à 500 dollars au Nigéria.


Les conséquences terribles sur les enfants accusés de sorcellerie


L’Unicef, dans son étude « Children Accused of Witchcraft: An Anthropological Study of Contemporary Practices », rapporte que les accusations de sorcellerie, bien qu’anciennes, prennent aujourd’hui une ampleur alarmante dans certaines régions d’Afrique. Ces accusations, souvent suivies de violences, mettent gravement en péril la sécurité et le bien-être des enfants. Selon l'ONG Save the Children, environ 50 000 enfants vivent dans les rues de Kinshasa, errant dans des bidonvilles, triant des déchets pour survivre. Ces enfants sont parfois exploités, battus, ou victimes de violences sexuelles.

Au Nigéria, dans les bidonvilles, de nombreuses jeunes filles sont laissées à elles-mêmes, souvent victimes de viols et de violences physiques. Les proxénètes les sollicitent dès leur puberté, ce qui contribue à la propagation des infections sexuellement transmissibles. Un adolescent de 14 ans, Gobless, vit dans un bidonville où il recycle des bouteilles pour gagner quelques dollars par mois. David, surnommé un « skolombo » (enfant de la rue), raconte les abus sexuels auxquels il a été confronté. Aujourd'hui, des associations telles que Today for Tomorrow, représentée par l'étudiante Adek Bassey, viennent en aide à ces enfants en leur apportant un soutien alimentaire et sanitaire.


Des solutions face à ce problème ?


Kofi Annan, ancien secrétaire général de l’ONU, a déclaré : « Les droits de l’enfant sont les droits de la personne humaine en développement. ».

En Afrique, plusieurs pays ont mis en place des lois pour protéger les enfants dits « sorciers ». En RDC, une loi de 2009 interdit explicitement les accusations de sorcellerie envers les enfants, et des états nigérians comme Akwa Ibom ont criminalisé ces accusations. Au Ghana, des lois protègent également les enfants des violences liées à ces accusations.


En 1990, l’Union Africaine a adopté la Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant, garantissant la protection des enfants contre toute maltraitance. Malgré ces lois, les violences persistent, souvent faute de mise en application. Au Nigéria, les personnes accusant les enfants de sorcellerie peuvent être condamnées à une amende et plusieurs années de prison.


La sensibilisation semble un moyen efficace pour lutter contre la stigmatisation de ces enfants. De facto, l’Unicef et d’autres associations sensibilisent les familles pour contrer ces croyances. En mai 2024, SOS Enfants relate avoir mené une campagne de sensibilisation avec succès, une mère ayant finalement rejeté l’idée que son fils soit sorcier. Au Nigéria, des centres d’accueil comme « La Maison des Enfants » hébergent, éduquent et réhabilitent les enfants accusés de sorcellerie.


In fine, comme l’a déclaré Benedicta Djandja, militante pour les droits des enfants en RDC : « La sorcellerie est un fléau qui détruit l’avenir de milliers d’enfants chaque année, les privant de leur dignité, de leur droit à l’éducation et à la protection. » Ces enfants, rejetés chaque année pour des accusations absurdes, sont soumis à des rituels barbares, exposés aux violences de la rue, aux maladies, et au travail forcé.


Pour pallier ce problème, l’Unicef et d’autres organisations internationales mettent en avant la sensibilisation et des centres d’accueil pour réintégrer ces enfants dans la société. Des conventions internationales et des lois nationales visent à protéger ces enfants, bien que leur application reste souvent limitée.


Article rédigé par Yassine Itrisso

 
 
 

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